mercredi 11 avril 2018

Mounia Youssef, militante du cheveu crépu

Dans le cadre de trois expositions tenues au Bénin

Mounia Youssef est une photographe d’art, qui, à cheval entre le dernier trimestre de l’année 2017 et le tout premier de 2018, a tenu pas moins de trois expositions avec, comme point commun, la matérialisation de la vision chère à cette jeune femme à l’allure de libellule : combattre pour rétablir chez le Noir la conscience de la liaison de son authenticité à une réalité aussi banale que le cheveu crépu.

Mounia Youssef
Le cheveu crépu à l’honneur par seize œuvres photographiques et une dizaine de posters. Le fruit d’au moins six mois de shooting, ces séances-photo ayant, entre autres, permis à Mounia Youssef, artiste photographe libano-togolaise, de mettre au jour l’exposition intitulée, ’’l’Hair du Temps’’, qui s’est déroulée à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou, du 24 novembre au 12 décembre 2017 et, de ce second mois à février 2018, au Restaurant, ’’Le Lambi’s’’ de la Haie-vive, sis quartier Cadjèhoun, toujours à Cotonou.
Au-delà de la présentation au public, à l’époque, du résultat d’un travail de longue haleine, cette corpulence délicate de femme a exposé une conviction, celle selon laquelle le Noir, qu’elle préfère appeler Afro-descendant, doit, aujourd’hui, se réapproprier les éléments physiques qui font son identité intrinsèque, et qu’à travers l’histoire, ses ’’maltraiteurs’’ ont dégradés, dévalorisés en lui, lui ont enlevés, à force de dénigrements, de préjugés, de rejet, notamment. Parmi ceux-ci, il y a le cheveu crépu qui est lui, l’Afro-descendant. « Le cheveu naturel a une place dans la société », affirme-t-elle. Et, ce n’est pas au Bénin qu’elle a cultivé cette certitude, un pays dans lequel les citoyens s’épanouissent en rejetant les normes de leur être culturel profond, pour adopter celles venant de l’étranger, mais au Ghana où elle a eu l’occasion de séjourner pendant une paire d’années.

Quelques oeuvres photographiques de ''l'Hair du Temps'', à l'Espace ''Tchif'', en novembre 2017
Dans ce pays, elle a touché du doigt la fierté avec laquelle les femmes manifestent la beauté de leurs cheveux crépus, en les arborant, bien peignés sur leur tête, ce qui, selon Mounia Youssef, a provoqué en elle le « déclic sur les cheveux naturels » et qui l’a décidée à en faire un sujet de travail. Et, les dix posters qu’elle a livrés à la délectation du public ont fait ressortir deux qualités essentielles chez l’artiste : d’abord, celle d’une graphiste accomplie qui sait disposer, positionner des conceptions originales, des couleurs fortes, des objets d’un symbolisme expressif, des propos incitatifs, des slogans motivants, un historique édifiant sur le mouvement ’’Nappy’’ de l’engagement des Afro-descendants, par les actes, à retourner aux sources de leur richesse physique spécifique, le cheveu crépu, principalement.

''l'Hair du Temps'', au Restaurant ''Le Lambi's'' de Cotonou
Ensuite, l’exposition a permis de faire ressortir le caractère fortement et profondément militant de Mounia Youssef, cela, de deux façons : premièrement, l’évocation de slogans marquants, poignants d’incitation à la prise de conscience sur la nécessité pour l’Afro-descendant, où qu’il se trouve, à travers le monde, de renouer avec le cheveu crépu, l’élément de son être originel. Morceaux choisis : « Emancipate yourself from beauty slavery », « My hair is my pride », « Your comb, your weapon ».
Deuxièmement, l’artiste réalise la focalisation du public sur certains mots forts en relation avec le fait pour l’Afro-descendant de renouer avec l’attribut de son être physique réel qu’est le cheveu crépu, dévalorisé, à travers les siècles, les époques et les années. A l’effet de la restauration de cet élément, des posters ont été spécifiquement composés et renseignaient de manière synthétique sur le sens du mot concerné : ’’Afro-descendant’’, ’’Unity’’, ’’Patrimoine’’, ’’Anticonformisme’’, ’’Réappropriation’’. De manière particulière, un poster a été investi de l’intense mission de restituer deux réalités : l’historique de la cause du cheveu ’’nappy’’ et le déroulement du laborieux processus ayant permis à Mounia Youssef de lancer, sur les réseaux sociaux, un appel à candidatures pour recruter des modèles devant poser pour les photos, d’en retenir pas moins de 35 sur plus de 300 appelés.
Aperçu du poster sur, notamment, le mouvement ''Nappy''
Et, elle a aussi, au finish, livré au regard du public, un riche éventail de traitements du cheveu crépu, de sa tresse à sa pousse libre, en passant par d’autres états inattendus de sa valorisation, tels que la simple joie de vivre d’un visage à la tête surmontée d’une tresse conséquente. En outre, une gestion commune pour toutes les seize photos exposées, concernant la démarche de travail de l’artiste : elles ont fait l’objet d’une « impression numérique sur papier photo ». Cerise sur le gâteau : certaines notoriétés béninoises n’ont pas résisté à l’appel à donner aux visiteurs de contempler leur chevelure extraordinaire, dans leur caractère intrinsèque, mais s’adaptant au projet conçu par Mounia Youssef : le slameur Kamal Radji.

Mounia Youssef, en exposition au ''Centre'' de Lobozounkpa
Par ailleurs, en décembre 2017, des icônes moins palpables ont fait l’objet de l’intérêt de la photographe-graphiste, dans le contexte de la deuxième édition des ’’Echos de Lobozounkpa’’, un événement qu’a organisé ’’Le Centre’’, complexe culturel situé à Atropocodji, dans l’Arrondissement de Godomey, de la Commune d’Abomey-Calavi ; avec neuf autres artistes contemporains, elle y a traité le sujet des Amazones, ces femmes guerrières ayant fait fureur dans le royaume du Dahomey.
Avec cette exposition collective, Mounia Youssef, à travers la longue plaque rectangulaire aux seize photos en noir et blanc, qu’elle a fait valoir, l’amazone appartient à tous les temps, même à l’époque contemporaine, face à un cheveu crépu qui apparaît quatre fois, abondant sur une tête vue de dos et, de profil, tressé puis, enfin, s’étalant court sur le côté d’une tête dont la moitié est perçue de face. Une stratégie d’agencement de quoi rendre remarquable le cheveu crépu comme l’élément pour matérialiser l’identité physique que rend véritablement spécifique l’appartenance culturelle, ce cheveu qui ne peut évoluer en une hirondelle unique : «  Avec sa peau, ses rondeurs, une amazone qui s’affirme affirme aussi son corps », appuie l’artiste, concluant sans ambages : « Etre amazone, aujourd’hui, c’est s’affirmer corporellement ».  


Mounia Youssef, une poigne de conviction 

Incandescente par sa vision pan-afro-descendantiste, rude par sa combativité et profonde dans son endurance, Mounia Youssef entretient le contraste sur sa personne, de par ces traits de caractère, avec une fine corpulence et un grand calme, une puissante sérénité. Des atouts qui semblent l’avoir conduite à mener à bien le travail impressionnant qu’ont demandé la conception, la préparation et la concrétisation de l’exposition, ’’l’Hair du Temps’’ : entre autres, toutes les sortes de va-et-vient, la communication pour recruter, par Facebook, des candidats loméens et cotonois pour les photos, des postulants voulus afro-descendants, métis avec des cheveux naturels, le travail sur les 35 retenus, leur maquillage, la location de studios-photo pour les séances de shooting, l’étalement de sa disponibilité pour l’adapter à celles de ses élus.
En frais début de la trentaine, Mounia Youssef fera retenir par l’histoire qu’en 2008, elle entre au devenu célèbre, prestigieux et crédible Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel (Isma) de Cotonou, au Bénin, pour une formation en Journalisme audiovisuel. Trois ans après, sa Licence professionnelle conquise, elle se fait autodidacte en Photographie avec, comme source d’acquisition des précieuses connaissances, Internet et, elle s’enferme dans une activité intense dans le domaine : « Plus on pratique, on devient meilleur », a-t-elle compris. Puis, de 2013 à 2015, elle fait l’option du Ghana pour une nouvelle formation en ’’Multimedia design’’. Depuis, son savoir-faire, en Photographie alliée au Graphisme, se demande abondamment, de toutes parts.
Voilà une réelle efficacité technique fondée sur une pugnacité à toute épreuve, et ce ne serait pas l’élancée Mounia Youssef, si cela devait s’en arrêter là : « Le militantisme, cela fait partie de ma vie », confie-t-elle. Ceci aide à comprendre qu’elle ne se contente pas d’exécrer, mais elle passe à l’action pour bouter dehors ce qui, pour elle, semble pouvoir nuire au fonctionnement harmonieux de la société, de l’africaine, en particulier. Conséquence : s’indignant des dégâts de plusieurs ordres que causent les produits chimiques sur le cheveu afro-descendant qui est rendu artificiellement lisse par le défrisage, s’horrifiant de la richesse dépouilleuse de l’Afrique, que cela génère pour les occidentaux concepteurs de ces produits, s’offusquant de la dépersonnalisation de l’Africain désormais condamné à s’approprier les standards européens de la beauté au détriment des siens, elle se révolte par l’exposition ’’l’Hair du Temps’’ dont elle a décliné le but, simple : « contribuer à ce que cela change, à ce que tombe ce complexe d’infériorité que montrent les Afro-descendants, sensibiliser » sur comment ces produits « gâtent le corps » et sur comment le système commercial mis en place « enrichit ceux qu’il ne faut pas ». Une amazone des temps modernes.
Et, ce n’est pas fini ! Ce qui l’épanouirait : « appartenir à une équipe technique pour tenir des conférences sur tout ça … ». Prête à aller plus loin, elle précise pouvoir faire de la « sensibilisation porte-à-porte ». Une telle détermination a une bonne justification : Mounia Youssef, de couleur métis de peau, ne laisse rien voir de son esprit, de son âme intrinsèquement africains, authentiquement afro-descendants : « Je me considère africaine, c’est général, c’est global ; je suis née en Afrique, j’ai grandi en Afrique, mon histoire, ma vie sont ici, de même que mon cursus scolaire et le décollage de ma carrière ! », laisse-t-elle émerger d’elle, non sans une pointe de chaleur dans la voix. « Ma mission continue » pour « valoriser la beauté black, avoir l’inspiration pour la révélation de la beauté africaine », clôt-elle.

Marcel Kpogodo

jeudi 5 avril 2018

Sakpata Zogbo pilote désormais le Festival des danses endogènes


Dans le cadre des réformes opérées au niveau de son événement

L’artiste danseur, Sakpata Zogbo, de son identité à l’état civil, Léon Hounyè, a rencontré le desk ’’Culture’’ du Journal ’’Le Mutateur’’, le mardi 3 avril 2018, à Cotonou. Il ressort des échanges effectués que l’événement phare dont il tient l’organisation annuelle depuis cinq ans, le Festival ’’Yaoïtcha’’, va opérer une métamorphose majeure fondée sur le renouvellement de sa dénomination.
Sakpata Zogbo, en pleine démonstration de son art de la danse 
Le ’’Festival des danses endogènes’’. Le nom par lequel il faut remplacer ce que le public connaissait par le Festival ’’Yaoïtcha’’, ce qui ressort des échanges que le danseur professionnel, Léon Hounyè, alias Sakpata Zogbo, a tenus avec la rédaction culturelle du ’’Mutateur’’, le mardi 3 avril 2018, en fin d’après-midi, au quartier Zogbohouè de Cotonou.
« Nous devons aussi opérer des réformes au niveau de nos initiatives d’ordre culturel ! », s’est exclamé l’hôte du Journal, expliquant que le défunt Festival ’’Yaoïtcha’’ portait le nom de la danse du feu avec l’implication attendue que toutes les activités de la manifestation ne tournait autour que d’elle, ce qu’il a trouvé restrictif. Ainsi, le nouvel événement aura comme innovation de travailler sur plusieurs autres danses à part la ’’Yaoïtcha’’ : ’’Dan’’, ’’Hêviosso’’, ’’Sakpata’’, ’’Zangbéto’’, celle de la chasse, entres autres.


Un programme déjà ficelé

En 2018, à en croire Sakpata Zogbo, le Festival des danses endogènes aura lieu sous le sceau de la sixième édition et, l’événement est prévu pour tenir sur trois jours avec, comme invité de marque, le Roi d’Allada. D’abord, le vendredi 12 octobre, en matinée, à Zogbo, sera animée une communication par celui qu’il a appelé un sage, l’ancien Député, l’Honorable Kakpo ; cette personnalité aura la lourde responsabilité intellectuelle de retracer l’histoire des autochtones de Cotonou devenue la capitale économique du Bénin, de même qu’il établira la nette différence entre les quartiers Zogbo, Zogbohouè, Mènontin et Kindonou, notamment, et évoquera les fondements de la création de Cadjèhoun et d’Abomey-Calavi. 

Sakpata Zogbo
Quant au samedi 13 octobre, il enregistrera le lancement du Festival. Cette ouverture, qu’il annonce grandiose et flamboyante, intense et dense, donnera au public de déguster plusieurs tableaux des danses traditionnelles de chez nous, un spectacle devant durer six heures de temps, à partir de 10 heures, dans la matinée. Et, ce sera à Zogbohouè. Enfin, le dimanche 14 octobre, Kindohou accueillera un autre vaste spectacle de danses, dès 10 heures du matin. Six heures plus tard, le public devra se déplacer vers Zogbo pour vivre les activités de la clôture du Festival.


Un réquisitoire de révolte

L’évolution des discussions a induit un inattendu changement de casquette. 

Sakpata Zogbo
C’est ainsi que le danseur de la musique traditionnelle s’est mué en Secrétaire général du Groupe 113 (G113), ce qui a justifié son indignation face à la léthargie actuelle dans le monde culturel : « Aujourd’hui, notre Ministère de la Culture n’existe plus, le Ministre ne nous connaît pas, il ne croit pas à notre travail, il n’a pas confiance en nous, il nous prend pour des bandits ! », lance-t-il, d’un trait avant, très vite, d’en tirer ses conclusions : « Nous, les artistes, nous ne pouvons plus faire comme avant, c’est-à-dire soutenir un Ministre ; si les gens ne nous considèrent pas, il faudrait que nous prenions notre destin en mains : il ne faudrait plus que les artistes parlent, qu’ils fassent leur travail, celui qui les libère ! », finit-il, avant de rebondir par un appel à ses pairs : « Que chacun de nous accompagne le Gouvernement selon ce qu’il peut apporter », et par une adresse au Chef de l’Etat : « Je remercie le Président Talon pour son travail et, nous pouvons l’accompagner en vulgarisant les idées du Programme d’actions du Gouvernement (Pag) au niveau des populations, à travers les activités de nos festivals ».

Crédit photos : Sakpata Zogbo, alias Léon Hounyè

Marcel Kpogodo