vendredi 13 février 2015

Jérôme Tossavi : Une lecture d' ''Errance chenille de mon coeur'' de Daté Atavito Barnabé-Akayi

En prélude au lancement de l'ouvrage le samedi 14 février 2015

L’écrivain Béninois Daté Atavito Barnabé-Akayi vient de publier, aux éditions Plumes Soleil, à Cotonou, son tout premier roman étiqueté  Errance : chenille de mon cœur. Roman de facture sociale et sentimentale. L’œuvre de Daté se présente comme un miroir reflétant les mutations d’une société en ébullition. Plusieurs thématiques captent l’attention de tout lecteur averti. Après ma lecture passionnée de l’œuvre de mon contemporain Daté Atavito Barnabé-Akayi, j’ai eu quelques frissons pour le genre littéraire romanesque qui ne m’a jamais accroché jusque-là. D’aucuns parleront d’influences. C’est positif d’avoir ses ancêtres à côté de soi. Senghor l’avait chez les gens de son canton proche. Moi aussi. Daté m’influence par ce roman de type nouveau où les personnages sont connus de tous, même des Zémidjans de Cotonou. Et, parlant de personnages-personnes, on peut citer, pêle-mêle, Florent Couao-Zotti, Habib Dakpogan, Romain Hounzandji, Roger Koudioadinou, Jean-Paul Tooh-Tooh, Dieudonné Oténia, Kangni Alem, Guy Ossito Midiohouan, Pierre Médéhouègnon, Barthélémy Abidjo , Apollinaire Agbazaou, Anicet Mègnigbéto, Kam Sophie Heidi, Amour Gbovi, Français Mensah (Rip), et tout le Beuverie club de Cotonou ( Jérôme Tossavi, Samirath Alidou, Marcel Kpogodo, Tanguy Agoï, pour ne citer que ceux-là). Tous ont trouvé leur place dans ce roman où plusieurs voix se mêlent comme dans un concert de jazz. Parlant de Chenille : errance de mon cœur, c’est une symphonie de propos humoristiques, qui frise le dilatoire non-ennuyeux. En ce sens, il faut rejoindre Okri Pascal Tossou qui qualifie, en note préventive, l’œuvre de Daté de caméra-social projetée sur des faits sociaux esthétiquement en Saniath.

Jérôme Tossavi
Délimité sur 196 pages sans chapitres organisés, Errance : chenille de mon cœur  est d’abord un cahier intime, une sorte de journal autoportrait d’un personnage érotique à la  quête de sensations et de la sexualité la plus inouïe. Oui, je dis bien sexualité. Car le poète-romancier Daté ne va pas se démarquer de cette thématique qui apparaît en toile de fond de son œuvre abondante. La femme, encore la femme, toujours la femme. C’est de cela qu’il s’agit avec les nombreuses aventures amoureuses que l’héroïne Saniath a entretenues, tout le long de la prose narrative. Revenons à la diégèse qui touche tous les angles de notre société (Cybercriminalité, système éducatif béninois pourri, dérèglement énergétique incarné par la SBEE, Société Béninois d’Energie Electrique, le drame politique tel que vécu sous les tropiques où fleurissent les fausses promesses de nos dirigeants assoiffés de politique). Il s’agit de Saniath, jeune élève campée dans la peau d’une fille pubère vite émancipée qui se laisse emporter par tous ses désirs. Deux urgences poussent notre héroïne en errance. La première, sa passion démesurée de publier coûte-que-coûte le roman de sa vie, sous l’influence de son pseudo-psychologue, elle est sonnée de remplir au jour le jour un cahier (journal) qui fera l'objet de publication à la suite de toutes les aventures et mésaventures connues. 
La deuxième, convaincre son professeur de français de son amour envers sa personne. Sur les traces de son éducation, elle rejette certaines contraintes familiales trop rugueuses pour elle et pour ses autres frères et sœurs. En ce sens, elle se plaint constamment de sa mère qui constitue pour elle une calamité et pas forcément un bel exemple à copier. Grandie et élevée dans le cocon familial, Saniath bravera toutes les intempéries pour « écouter son cœur » contre celui de sa mère qui déteste les amitiés non évangéliques. D’abord, elle affiche sa haine voilée contre tous ses frères et sœurs sauf Joseph, son frère cadet, le seul qui la comprend mieux que les autres. Ensuite, sa grogne se dirige vers Moustapha, le mari de sa sœur aînée Léontine qui vocifère une méchanceté sans nom envers sa belle-sœur Saniath et son beau-frère Joseph. Enfin, Saniath, comme je l’avais dit plus haut, n’aime pas sa mère. Elle la trouve trop complexée et assez maladive. Ici se pose avec acuité le problème du voisinage et de l’affection parentale muée en infections comportementales.



L’errance comme clichées d’émotions

La trajectoire de Saniath se limite à ses amis- et Dieu même sait qu’elle en a à foison- et à son professeur de français qu’elle « adore » en passant par son psychologue. Au départ, c’était un amour confidentiel pour cet enseignant que Saniath adore. Mais, après, elle finira par déclarer ouvertement ses sentiments à son professeur de français. On peut lire ceci à la page 66 du roman : « Je crois sincèrement que je vous aime, pardon, j’aime votre cœur. Je veux vous appartenir, éternellement. C’est fou comme je suis comblé les dimanches soirs et surtout quand nous sommes lundi. Du simple fait que je vais vous voir, non, pardon je vais suivre votre cours ». On ne peut plus clair. Saniath aime son prof et trouve du plaisir à être en sa compagnie. Elle regrette même que son prof soit un homme marié. A maintes reprises, elle a pointé son doigt accusateur sur maman Erasmus qui est la femme du prof-amant. Dans le même viseur, Saniath partage son cœur avec une kyrielle de petits amis. La liste est un peu longue. D’abord, c’est avec Léopold que sa quête sentimentale a débuté. Mais, très vite, Boni, un don juan né, broutera dans le jardin intime de Saniath qui condamne la routine de Léopold qui n’adopte que les mêmes positions tout le temps. Eric, séducteur du quartier, fera jaser Saniath qui ne respire que par lui. Son voyage, au nord, dans le but de finir en beauté ses études sera aussi fructueux en amour : sur son chemin, elle rencontre Akim qui l’emportera dans son cœur jusqu’au quartier Jéricho, vons des Assemblées de Dieu.




Derrière le rideau de l’errance

Les maux sont ainsi égrenés par le prosateur de Chenille : errance de mon cœur. Saniath Zamba n’est qu’un prêt-mot pour dénoncer les caprices d’une société en ruine. Quelques micro-récits méritent qu’on s’y attarde. Le récit sur Feu François Mensah n’est qu’une autodérision  sur une jeunesse capable mais traumatisée par  la drogue et  l’alcool. Parle narrateur (ici François Mensah serait le précurseur du rythme ''Soyoyo''. Et, quand on parle de ''Soyoyo'', on se souvient très vite du groupe emblématique ''Panthère Noire'', incarné par Robinson Sipa emporté aussi par la drogue, en dépit de l’immensité de son talent non négociable), il faut célébrer François autour de l’alcool pour lui assurer le paradis, entendu que toute sa vie n’a été qu’alcool et cigarette. Le micro-récit sur les enseignants-vautours qui quémandent des heures de vacations dans tous les sens est aussi accrocheur. Ces enseignants capables de corriger les copies des élèves sous l’échangeur de Godomey, meurent si on leur arrache une classe. Derrière cette satire se dégage toute la problématique de notre système éducatif enrhumé. Et, Daté est bien placé pour le dire vu sa casquette d’enseignant. Plus loin, il faut noter le discours pamphlétaire qui parsème le roman : la verve du prosateur contre les romanciers n’est pas gratuite. Pour Daté, le roman est un genre humiliant capable d’être exécuté par tous. Par contre, la poésie est bien noble. Il s’en prend vertement à tous les écrivains qui pissent l’orgueil et la goinfrerie en se prenant pour Dieu. Et, le centre de la terre. En filigrane, il toise (je parle de Daté) son propre orgueil (l’un des personnages du roman, Bruno Ahossi, dira ouvertement que Daté serait infréquentable et contagieux) mais préfère la modestie réservée, selon Daté, aux tarés. L’autre charge pamphlétaire notée dans le roman est le discours religieux axé sur un Dieu nul et inutile qu’il faut gommer de toutes les prières (c’est Saniath qui parle. Mais paradoxe pour paradoxe, Saniath est une évangéliste issue des arcanes de l’Eglise des Amoureux du Christ). Les autres grognes se résument aux discours féministes qui campent la femme dans une position attentiste (et là, c’est Samirath Alidou qui fustigera cette thèse via la bouche de Saniath). Tout baigne pour celui qui sait attendre semble nous dire l’auteur de Chenille : errance de mon cœur, qui trace les nouveaux sillons d’une écriture romanesque engagée. En attendant de le lire et de le relire, je convie les lecteurs passionnés à la découverte de ce roman qui fera date dans la littérature béninoise.


Le mérite d’une plume

Le langage parfois débridé du prosateur n’est pas à oublier. Volontairement, l’auteur transfère des sms-Kifs dans son récit. Des interjections tirées du langage argotique fleuve pointillent le roman pour laisser choir dans nos tympans l’émotion vive du personnage évoluant dans un cadre spatio-temporel illimité. On a du mal à la saisir en plein vol dans ce récit où le chronotope converge vers des récits enchâssés. Le rire sournois et sarcastique de Daté est aussi bien perceptible derrière tout ce récit qui côtoie le style du one man's show, à la façon d'Elmaleh Gad. Pour un coup d’essai romanesque, ce fut un coup de maître pour ce roman qu’on peut qualifier de roman des réseaux sociaux, entendu que bon nombre d’extraits y sont déjà postés bien avant la parution de l'ouvrage attendu des paisibles lecteurs d’ici et d’ailleurs.


Jérôme Tossavi

Daté Atavito Barnabé-Akayi fait renaître le roman avec ''Errance chenille de mon coeur''

L'ouvrage est lancé le samedi 14 février 2015 à l'Institut français de Cotonou


''Errance chenille de mon cœur'', l’événement littéraire, en ce début d’année 2015, est présenté à l’Institut Français de Cotonou, en collaboration avec l'Association ''Aiyé culture et développement pour le club d'animation littéraire'', ce samedi 14 février 2015, à 16 heures. La présentation d’ ''Errance chenille de mon cœur'' est assurée par l’éminent universitaire, le Professeur Pierre Mèdéhouègnon, et un autre fameux écrivain béninois, Habib Dakpogan.




Gaston Bachelard qui suggérait que « la littérature doit surprendre »[1] est servi avec Errance chenille de mon cœur, premier roman de Daté Atavito Barnabé-Akayi qui défie, fait tomber en désuétude et en faillite toutes les théories sur le genre romanesque. Errance chenille de mon cœur relève d’un chaos esthétique inégalé qui constitue l’essence de toute création, un big-bang littéraire. Daté Atavito Barnabé-Akayi réinvente les codes génétiques de l’écriture romanesque, avec cet ouvrage inclassable et classieux, en objectivant la fiction qui traque les moindres frémissements du réel quotidien, lui faisant assurer le métadiscours sur lui-même, foisonnant d’une masse considérable de récits inénarrables, alternant les registres, les styles. 

Daté Atavito Barnabé-Akayi
Déroutant, poilant, exigeant, faussement léger, il manque de qualificatifs, à l’envergure de ce roman, à l’image de son auteur… Mais, plus que tout, il projette, réalise et matérialise la femme d'aujourd’hui et de demain à l’acné de son potentiel dans cette héroïne, ses parfaites, belles et humaines imperfections, Saniath : éclatante, sublime, brillante[2] !
Samiratou Alidou




[1] Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté.
[2] Dina Tidjani, Le dictionnaire des prénoms arabes, Paris, Ed. Tawhid, 2005.