samedi 24 novembre 2012

Unik de Dominique Zinkpè à Abomey


Unik, l’unique !


Entrevoir un qualificatif différent pour caractériser Unik-Lieu de création contemporaine relèverait d’un certain utopisme : à peine né et mis en activité, ce complexe culturel a mis Abomey sous les feux de la rampe, depuis le vendredi 9 novembre 2012.

L'entrée d'Unik à Abomey

Dans le cadre de la Biennale Regard Bénin 2012, Résistances itinérantes a commencé à faire parler une programmation d’une densité qui puisse permettre à plusieurs générations, continents, tendances et visions d’artistes de se confronter, de se spécifier, de s’enrichir et de se compléter mutuellement, de façon à faire rayonner l’art contemporain, par le sens de profonde et haute tolérance animant les créateurs d’œuvres de l’esprit, invités à cette messe de l’interpénétration des savoirs et des pratiques artistiques qui subsistent et se renouvellent de la culture aboméenne authentique et de l’expression culturelle occidentale qui, au-delà du métissage auquel il devient difficile d’échapper, regarde l’autre et lui emprunte les normes d’une nouvelle existence.

Ainsi, Lionel Ducos, sculpteur français, fait déjà voir un chef-d’œuvre d’Amazone, long de 2,20 mètres, réalisé au cœur de la science ’’potièrement’’ historique du milieu autochtone auquel il a accepté de se familiariser, plusieurs semaines durant.

Autour de lui gravitent treize plasticiens béninois de la nouvelle verve créative, déterminés à conduire une carrière à l’image d’un certain  malingre de maître, qui ne s’en laisse pas conter dans l’illimité des défis à relever.     

Jusqu’au 15 janvier 2012, Unik-Lieu de création contemporaine se donne la chance d’entretenir la contemplation d’un génie créateur multidimensionnel et ce ne serait pas pour déplaire à Dominique Zinkpè ni à Abomey ; au-delà de la conventionnelle visite historique des musées, ce monument béninois très discret de l’art contemporain africain et cette ville auront éclairé le Bénin, l’Afrique et le monde, à partir d’une unique sphère-phare : Unik-Lieu de création contemporaine.


Marcel Kpogodo

mercredi 14 novembre 2012

Meschac Gaba sur la Biennale Bénin 2012


Pour Meschac Gaba


« Toutes les biennales en Afrique ont des problèmes … »


Meschac Gaba
Quelques jours avant le lancement de son Projet spécial, Meschac Gaba a bien voulu nous faire l’honneur d’une interview. Sont au rendez-vous des éclairages sur son exposition internationale, sur son Projet spécial et concernant les problèmes de la Biennale Bénin 2012.


Dans le cadre de la Biennale Bénin 2012, vous faites partie des artistes qui présenteront des œuvres par rapport à l’exposition internationale. Qu’en est-il ?


Meschac Gaba : L’exposition internationale est intitulée Citoyens du monde et j’y présente un travail qui s’appelle Voyages, parce que je me considère aussi comme un citoyen du monde.
Quand on parle de citoyenneté, je pense qu’on ne va pas l’enfermer dans le nationalisme, surtout qu’aujourd’hui, si on regarde même le Projet Biennale Bénin, c’est soutenu déjà par la France. Donc, il y a déjà un aspect de citoyenneté internationale.
Alors, mon projet qui s’appelle Voyages, je le fais aussi en accompagnement avec Hermann Pitz qui veut présenter The world Hermann Pitz’s world, un bilan de tous les endroits du monde qu’il a parcourus et où il a fait des projets, ceci qui rejoint l’idée de citoyenneté du monde.
Voyages est un travail sur les drapeaux ; vous avez un grand drapeau dans lequel on retrouve tous les drapeaux du monde mais, sous des formes triangulaires, on les reconnaîtra à peine. Mais, autour de ce grand drapeau, on aura des colis de drapeaux, comme des sacs de voyage, comme les colis que les gens font pour voyager.
Nous avons donc le colis de l’Unité africaine qui représente toute l’Afrique, le colis de la Ligue arabe, pour les pays arabes, celui de l’Union européenne qui représente les pays d’Europe, le drapeau des Usa pour les pays américains, sauf que, pour l’Asie, je n’ai pas pu trouver quelque chose de représentatif, ce qui m’a poussé à prendre la Chine comme grand format en Asie.


Alors, que proposez-vous par rapport à votre Projet spécial lié à la Biennale ?
Je propose le Projet Mava que j’avais fait en 2010-2011, où j’annonçais la création d’une résidence de bibliothèque ; c’est ce que je développe. En tant qu’artiste, je veux, par rapport à mon Projet, drainer aussi la communauté de Cotonou, qui n’est pas que du milieu de l’art. Alors, je veux faire un projet avec les taxis-moto à Cotonou et, il s’appelle Bibliothèque roulante. Là où je l’aime, c’est qu’il fait intervenir les gens du monde entier, pas seulement les taxis-moto de Cotonou ; depuis qu’on est en train de travailler, on reçoit des messages de l’Amérique, du Japon, de partout. Ces messages seront placés comme des plaques minéralogiques mais, avec des textes, sur les motos ; mon souhait, c’est que cela reste durant toute la Biennale à circuler dans la ville de Cotonou. Déjà, quand tu lis ce genre de textes sur une moto, même quelqu’un qui ne va pas voir l’expo ou bien qui n’en est pas au courant se demandera ce que c’est ; cela peut créer déjà de la communication. C’est pour ça que j’appelle cela Bibliothèque roulante mais, ça met aussi de la visibilité sur la Biennale, comme sur mon Projet.


On vous a aussi programmé pour animer un atelier, des rencontres professionnelles sur le thème : « Espaces urbains, géographie, histoire et invention ». Cela va se dérouler au Centre commercial Kora. Qu’est-ce que vous avez à partager avec le public ?
Tel que vous le dites, si je regarde mon travail, je le fais sur la ville de Cotonou qui est une ville urbaine ; je travaille beaucoup sur le développement urbain, moderne alors, je pense que je vais partager juste mon expérience, je vais parler de ce que j’ai fait au Bénin, de ce que j’ai fait ailleurs aussi ; ce sont les échanges que je pense avoir.


Il semblait y avoir deux tendances pour cette Biennale. Qu’est-ce que vous en pensez ?
(Rires). Si les deux camps m’avaient invité, j’allais participer. Je pense qu’au Bénin, c’est pour cela qu’il n’y a pas de guerre, on se querelle beaucoup et nos guerres finissent par les paroles. C’est pour ça que le Bénin fait partie des pays de l’Afrique de l’ouest qui n’a jamais vu, comme au Nigeria ou au Togo, des gens se tirent dessus avec des armes. C’était un conflit idéologique, ce qui fait que tout le monde veut faire une biennale au Bénin. Cela aurait été bien qu’il y ait deux biennales au Bénin mais, pour l’international, ce n’est pas bon. Il faut le dire honnêtement : à l’international, on regarde le Bénin comme un pays à part ; quelqu’un m’a dit : « Le Bénin est le pays le plus compliqué que j’aie jamais visité dans ma vie. » Je lui ai dit, en réponse : « Le Bénin est le seul pays en Afrique de l’ouest qui n’a jamais eu de guerre », pour lui montrer qu’on n’est pas si mauvais que cela. Mais, pour l’international et, même pour le financement, ce n’est pas bon de diviser un projet. Cependant, je trouve que c’est une richesse pour le Bénin qu’il y ait deux biennales et, on va tout faire pour que cela n’arrive plus, si cette Biennale doit continuer dans le futur.
Certains pensent que ce conflit est dû à une question d’intérêts et d’argent mais, moi, je pense que c’est plutôt une question d’égo. Mais, on va essayer progressivement, philosophiquement, par des conférences, des rencontres, de développer l’unité ; cela va s’apprendre. Le problème qui se pose dans les arts plastiques se pose aussi beaucoup dans le théâtre. Je pense qu’il va falloir mûrir et bien gérer cela. Pour l’instant, on ne dira pas que cela est si négatif ; s’il devait y avoir deux biennales, il y aurait pas mal de groupes à Cotonou.
Moi, je suis là pour apporter ma pierre à l’édifice, je vais faire ce que je peux, mettre ensemble les gens qui se chatouillent et, je pense qu’après la Biennale, ils vont se retrouver, se calmer ; la prochaine Biennale s’appellera Unité et il y aura une seule Biennale.


Pour vous qui vivez à l’extérieur du Bénin, comment cette division d’antan a été perçue ?
Je vis en Hollande et, cela a été très mal vu. La première fois qu’on a entendu parler de la Biennale Bénin, c’est une femme qui m’a appelé à Londres et qui m’a dit : « Qu’est-ce qui se passe dans votre pays ? Pourquoi les gens ne s’entendent pas ? » Je lui ai répondu : « Comme le Bénin est petit, pour tout grand projet, beaucoup de gens pensent qu’ils sont patrons et, à Cotonou, il n’y a pas de musée, il y a pas de préoccupation alors quand il y a une petite chose, tout le monde veut s’en occuper, c’est pour cela qu’il y a divergence. »
Vous voyez, il y aura plus de visiteurs à Cotonou et, on va regarder celui qui peut faire le meilleur, il se fera respecter la prochaine fois. Sinon, c’est dommage pour le Bénin qui regorge d’autant de très bons artistes mais, ce n’est pas qu’ici qu’il y a ce problème ; toutes les biennales en Afrique, cela, je peux vous le dire, ont des problèmes. C’est pire et c’est grave !
Par exemple, il y a eu le Festival des arts nègres à Dakar ; je peux vous dire que, jusqu’à aujourd’hui, les œuvres des artistes sont saisies quelque part, souhaitons que cela n’arrive pas ici. Moi, mes œuvres, on a dû payer 6000 euros pour les récupérer, parce qu’une galerie française voulait les montrer, alors que ces œuvres avaient été prêtées.
A part le Sénégal, nous avons la biennale sud-africaine qui n’existe même plus. La Biennale Bénin est à ses débuts. Regardez celle de Dakar qui a déjà plus de 20 ans ! Elle bafouille après tant d’années, elle semble encore à un stade primaire ! Ici, ils viennent de commencer et, toute chose qui est à ses débuts comporte un peu de bavures ; je pense qu’ils auront le temps de se rattraper.
Si nous, nous avions pensé que c’était un projet négatif, nous n’allions pas y participer ; j’ai des amis qui m’ont demandé si cela valait le coup d’y être et je leur ai répondu oui. Donc, on ne va pas regarder ce qui se passe d’un œil négatif ; en fait, c’est le début de quelque chose.
Je pense que cela va être une bonne Biennale, parce que les gens ne savent pas ce qui va se passer, mais ils savent qu’il y a de très bons artistes ici, c’est pour cela qu’ils s’y engagent. Je pense que même si l’administration bafouille, les artistes vont y mettre le poids et cela va marcher.


D’où vous vient ce grand sens d’optimisme ?
Vous savez, j’aime le Bénin. Mon art, je l’ai commencé ici ; des Béninois ont acheté mon art sans aucun expatrié, sur dix ans et, j’ai du respect pour ça, je ne peux pas dire que le succès de mon travail a commencé quelque part d’autre, il a commencé vraiment ici ; si vous voulez compter mes œuvres à Cotonou, vous pouvez en avoir plus de soixante-dix qui sont au Bénin. Donc, c’est un pays auquel je crois, je ne peux parler un seul instant négativement de lui, ça ne peut pas tourner une minute dans ma tête. Tout ce qui se passe ici, surtout pour l’art, pour moi, c’est positif.


Un mot de fin ?
Souhaitons que les deux Biennales deviennent une, parce que c’est bon pour le Bénin, c’est mon mot de fin.


Propos recueillis par Marcel Kpogodo